Il y a quelque chose de symbolique dans la tempête qui fait rage à l’extérieur alors que nous discutons sur Skype avec Ron et Dina ; eux en Floride, moi en Californie. J’observe les visages exaspérés des propriétaires de Hannah le Beagle pendant qu’ils m’expliquent à quel point leur chienne adorée souffre lorsqu’elle est laissée seule.

C’est une histoire tristement familière pour beaucoup d’entraîneurs. Au début, Ron et Dina laissaient Hannah dans une cage (une caisse de transport), comme le leur avait conseillé l’association auprès de laquelle ils l’avaient adoptée. Durant quelques semaines ils ne s’étaient pas rendu compte qu’il y avait un problème. Ils habitent une zone assez rurale en Floride et personne n’était assez proche pour entendre les aboiements de Hannah. Un jour, des ouvriers qui travaillaient à la maintenance d’une route à proximité leur laissèrent un mot pour leur dire qu’ils l’avaient entendu aboyer en continu. Alors Ron et Dina enregistrèrent une vidéo de Hannah et furent choqués de voir qu’elle aboyait, hurlait, et grattait désespérément durant toute la durée de leur absence.

Pensant qu’elle n’aimait pas sa cage, ils la laissèrent libre dans la maison et commencèrent à s’absenter par petites tranches de 20 ou 30 minutes. Vu qu’elle semblait bien gérer cela ils retournèrent à leur routine de déplacements et d’évènements loin de la maison. Mais, malgré le fait qu’ils ne la laissaient seule que quelques heures à la fois, il est vite devenu évident que Hannah ne gérait pas ces absences aussi bien qu’ils le croyaient. Elle recommençait à gratter et même ronger l’encadrement de la porte, et à s’attaquer au tapis. Ils étaient à bout de nerfs en ne comprenaient pas du tout son comportement.

« Pourquoi Hannah ne comprend-elle toujours pas que nous revenons à chaque fois ? Ne devrait-elle pas s’y faire ? » me demande Ron.

Je sais alors qu’il est temps pour moi de poser les bases du traitement de Hannah et lui donner une chance d’accéder à une vie sans anxiété. J’explique que lorsqu’on fait face à un trouble panique, la logique n’a pas sa place. Si vous avez déjà été assis au décollage à côté d’une personne qui a vraiment peur des avions, cela a pu vous donner un aperçu de ce qu’est un trouble panique. Aucun argument logique ne pourra apaiser un état d’anxiété aussi intense. Le fait d’expliquer que l’avion est mécaniquement sûr et que les statistiques montrent qu’il y a bien plus de chances d’être blessé dans un accident de voiture n’y changera rien.

L’anxiété de séparation est une phobie d’être laissé seul – une crainte de l’abandon. Les enfants ressentent souvent de l’anxiété de séparation, et bien qu’il existe plus d’options de traitement pour les enfants eu égard à leurs capacités cognitives avancées et leurs capacités à s’exprimer par la parole, le trouble qui se cache derrière cela est pratiquement identique à celui qui s’observe chez les chiens. Rester seul est pour eux une expérience terrifiante qu’aucun élément rationnel ne pourra calmer.

Faire comprendre à Ron et Dina que Hannah ne se comporte pas de la sorte parce qu’elle est gâtée ou têtue ou stupide, mais parce qu’elle est la proie d’une crise de panique débilitante est la première étape. La suivante est de les préparer à ce qui sera nécessaire afin de l’aider à s’en sortir : ne pas la laisser seule, en tout cas pendant encore un bon moment.

« Imaginez », leur dis-je, « que vous établissez un contrat avec Hannah. Vous lui tendez la main, serrez sa patte, et lui dites que pour l’aider, vous promettez de ne pas la laisser seule plus longtemps que ce qu’elle peut gérer confortablement. »

Je leur explique ensuite les tenants et aboutissants du plan de désensibilisation à la séparation qui démarre avec des absences de 5 secondes et se construit à partir de cette base. Les répétitions, l’observation minutieuse, les graduations infinitésimales auxquelles nous devrons nous tenir pour convaincre Hannah que les moments passés seule ne la tueront pas.

Comme la plupart des gens, Ron et Dina se retrouvent alors à un embranchement crucial du chemin. Leur expression faciale montre clairement ce qu’ils pensent : qu’à ce rythme-là ils ne pourront pas laisser Hannah seule pour une quelconque durée significative avant 2027.

C’est là que je leur donne la bonne nouvelle. Le rythme d’escargot que je viens de leur décrire n’est généralement nécessaire que dans les étapes initiales du protocole contre l’anxiété de séparation. Une fois qu’on atteint quelques minutes, le jeu des absences devient souvent plus facile pour le chien, et de là on peut augmenter la durée plus rapidement. Trois minutes se transforment en 8, puis 8 deviennent 15 et très bientôt on est à 30, puis 42, puis plusieurs heures.

Tant de choses dans le traitement de l’anxiété de séparation tournent autour des émotions : la crainte et l’irrationalité du chien, le désespoir et la frustration des propriétaires… Néanmoins la logique rentre bel et bien dans l’équation ; d’une part dans l’assurance apportée par des méthodes d’entraînement encadrées par une structure scientifique, et d’autre part dans la métaphore du contrat. Et de fait, comme tout bon avocat, je les rends attentifs aux clauses de détails du contrat.

 « Rappelez-vous : vous ne devez pas rompre le contrat ! »

Je leur donne un exemple où nous avons amené Hannah à savoir gérer une heure d’absence, lorsqu’ils reçoivent l’appel d’un ami cher qui passe dans la région et aimerait les rencontrer pour boire un café. Il faut compter 50min aller-retour pour le lieu de rendez-vous, et Ron et Dina savent qu’ils souhaiteront passer au moins 30 minutes voir plus avec leur ami pour se retrouver. Mais bon, Hannah se débrouille tellement bien qu’ils décident d’y aller malgré tout. Et elle gère bien l’absence, pendant la première heure. En revanche après 70 minutes elle est debout et commence à faire les 100 pas. Cinq minutes plus tard elle est en panique complète, retombant dans ses anciennes réactions en grattant la porte et en hurlant.

Si ce scénario est terrible pour Hannah, il est encore pire pour les propriétaires qui, symboliquement, ont rompu le contrat de base. Car demain ou le jour d’après, lorsqu’ils voudront pratiquer une absence avec Hannah, elle ne saura peut-être plus gérer l’heure qu’ils avaient si durement gagné. Sa confiance aura été brisée. Peu de relations supportent aisément les promesses rompues, et à cet égard les chiens ne sont pas différents.

Heureusement pour Hannah, ses parents n’ont pas baissé les bras. Ron et Dina ont patiemment suivi un protocole de désensibilisation systématique et graduel, et leur engagement – ainsi que leur respect du contrat conclu avec Hannah – a porté ses fruits.

 

 

Publié par Malena De Martini le 6 Septembre 2015. Traduit par Vinciane De Bruyne le 23 Avril 2020.
Lien vers l’article original https://malenademartini.com/logic-doesnt-apply-to-separation-anxiety/

Note sur l’Auteur : Malena DeMartini

Malena DeMartini est l’auteur du livre « Treating Separation Anxiety in Dogs » (Editions Dogwise Publishing) et la fondatrice du programme de certification sur l’anxiété de séparation (Separation Anxiety Certification Program). Vous trouverez ses futures présentations et des conférences ainsi que d’autres informations et articles de blog (en anglais) sur son site www.malenademartini.com

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